
(Ethno-)mathématiques dans des sociétés autochtones du Vanuatu (Pacifique sud)
Dans cette conférence, nous interrogerons la dimension mathématique de certaines activités procédurales (jeu de ficelle, dessin sur le sable, tressage de nattes) pratiquées conjointement dans nombre de (micro-)sociétés du Vanuatu, et dans lesquelles ces activités s’ancrent dans une réalité sociale et culturelle complexe.
Mercredi 5 février 2025 – 17h – 2020ème séance
Présidence Martine Gachignard – 48 participants
(Ethno-) mathématiques dans des sociétés autochtones du Vanuatu
(Pacifique sud) :
le cas des pratiques de jeu de ficelle, de dessin sur le sable, et de tressage de nattes.
Animée par Eric Vandendriessche
Chercheur CNRS, membre du CREDO (Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie)(UMR 7308)
En introduction, le conférencier définit la notion d’ethno-mathématique. Une science au champ interdisciplinaire, connue dès la fin du 19ème siècle, s’est développée autour des années 70 grâce aux travaux d’Ubiratan d’Ambrioso (1932-2021) et de Marcia Ascher (1935-2013). Le premier chercheur, brésilien, a étudié les mathématiques pratiquées dans l’ensemble des groupes humains, l’implication pour l’histoire et l’épistémologie des mathématiques. Marcia Ascher étudie le concept d’idées mathématiques développées dans les sociétés, à la recherche des régularités et structures. Aujourd’hui, l’ethno-mathématique est définie comme un domaine de recherche questionnant sur les usages culturellement spécifiques des concepts, savoirs et pratiques. L’objectif étant d’élargir notre point de vue sur les mathématiques en incluant l’ensemble des activités à caractère algorithmique, géométrique…
Afin de nous présenter les contextes culturels mélanésiens de pratiques ethno-mathématiques, E. Vandendriessche nous présente des vidéos sur le tressage des nattes rituelles, le dessin sur le sable, des activités qu’il étudie au Vanuatu, république au NE de l’Australie, sur les îles d’Ambrym et Pentecost.
Tu en awa et tu en tan
Tu signifie écrire / dessiner / représenter / discuter / palabrer
En awa : sur la corde, en tan : sur le sol.
La représentation des figures sont différentes selon le sable ou la ficelle. Une figure ficelle représente quelque chose de l’environnement. Exemple Luan : nom d’une société secrète, réalisation d’un dessin sur le sable pour entrer, ces représentations sont ancrées dans un système de prescription /prohibition, peuvent avoir un effet négatif sur la croissance des ignames. L’activité ficelle est féminine, l’activité sable est masculine, les femmes tressent les nattes, pas les hommes effet négatif du tressage. Les petites filles apprennent les jeux de ficelles et sont initiées au tressage. Les nattes recouvrent les défunts, sont utilisées pour les rituels, elles sont teintes à l’aide de pochoirs réalisés dans les feuilles de bananier. Dans la société Apma, entre les nattes toujours reliées par deux figurent les métaphores de la société, (feuilles filles/feuilles garçons). Les frises réalisées, cent cinquante différentes connues, montrent symétrie, translation et rotation.
Dimensions mathématiques de pratiques de tressage :
- Le Jeu de ficelle repose sur une procédure algorithmique, c’est une succession ordonnée de gestes simples assimilables à des opérations élémentaires et une terminologie vernaculaire : hu: saisir, si : torsader.
- Sur le sable, ce sont les mêmes schémas cognitifs, avec des motifs élémentaires ayant une terminologie vernaculaire mli : faire un nœud. Le dessin est réalisé en continu sans repasser sur un trait existant, le point final devant coïncider avec le point de départ parite. Dans les deux cas existence d’une cyclicité.
- La réalisation des nattes, organisation de gestes simples montre une activité algorithmique – sergé à trois liens, motif toile..- toujours une symétrie tahitu : le même de l’autre côté. Elles sont réalisées avec les feuilles de pandanus séchées selon une séquence ordonnée d’opérations élémentaires et itération des mêmes motifs, les points de base sont analysés somme des sous-procédures simples. Des études consistent à chercher des chemins différents pour réaliser la même figure, transformer une figure en une autre par altération opératoire, par ajout de motif, silimri /asiplaer /peng.
Le conférencier poursuit en présentant les modélisations informatique ou mathématique, des formes de réécriture des procédures impliquées dans les pratiques textiles et de dessin. Les jeux de ficelle sont modélisés depuis la fin du 19ème siècle par l’ISFA (International String Figure Association). Il nous montre le dessin de Deacon -1920- Vyu : tortue, le motif est un mot écrit sur un alphabet de mouvements. Les dessins sur le sable et les graphes ont un objet : le point, la relation entre deux points est une arête, la ligne continue traverse un nœud dans deux directions. Le tracé traverse chaque nœud de la grille sans changer de direction, le graphe est de type eulérien, un chemin eulérien n’est pas forcément unique.
Le jeu de ficelle se réalise sur la base de l’insertion d’une boucle dans une autre boucle.
En conclusion, le conférencier rappelle les liens entre les pratiques ethno-mathématiques et l’éducation culturellement située. Héritées des pratiques coloniales, ces questions sont très discutées dans les sociétés autochtones. Il existe près de cent trente langues vernaculaires, chacun sa langue, l’éducation formelle, moderne explique comment les utiliser. Dans les écoles se développent une pratique régulière de dessin sur le sable. A chacune de ses missions, Eric Vandendriessche exerce son regard d’anthropologue observateur.
Nos remerciements les plus chaleureux à Eric Vandendriessche pour cette découverte et ce partage de connaissances sur l’ethno-mathématique, une science éloignée de la zone de confort d’une majorité du public biologiste- naturaliste, mais une présentation très appréciée.
MG