Les plantes addictives et leurs paradoxes

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Les plantes addictives et leurs paradoxes

Stimulantes, narcotiques, hallucinogènes, …, autant de termes qui font la « une » de l’actualité mais sait-on les distinguer ? Présentation des espèces responsables les plus usitées, sous leurs aspects descriptif, historique, pharmacologique, économique et législatif, en soulignant les paradoxes d’utilisation entre addiction et thérapeutique.

2003ème séance

Animation : Michel Botineau

Administrateur de la Société botanique de France

Membre de la Société des Sciences Naturelles de la Charente-Maritime

Présidence : Martine Gachignard – 35 participants

Depuis les temps les plus reculés, l’Homme a progressivement distingué dans son environnement quatre sortes de plantes :

  • les plantes alimentaires, qu’il a progressivement mises en culture
  • les plantes toxiques, qu’il a su utiliser pour empoisonner
  • les plantes médicinales, initialement distinguées grâce aux « Signatures » ou « signes de la Nature ».
  • et les plantes et champignons psychotropes, dont l’usage avéré dans un but cultuel ou magique remonte plusieurs siècles avant notre ère, mais qui aujourd’hui sont étudiées pour d’éventuelles applications thérapeutiques. C’est bien là la difficulté de séparer ces deux aspects.
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Nous côtoyons – parfois sans le savoir – de telles plantes ou champignons, mais souvent ceux-ci ont inspiré l’imagination.

Le vocabulaire destiné à caractériser ces diverses « drogues » est souvent galvaudé, alors qu’il était initialement précis en distinguant :

narcotique – stupéfiant – psychotrope – hallucinogène – enthéogène.

 

I.- Les narcotiques au sens strict correspondent aux opiacés, avec le Pavot : nous passerons de l’opium fumé à la morphine médicament, puis à l’héroïne et enfin aux antidouleurs actuels. Il faut ici distinguer les productions clandestines des cultures licites.

 

II.- Les stimulants constituent un groupe à part, avec le Cocaïer d’Amérique du Sud et le Khat du pourtour de la mer Rouge.  Si, à faible dose, ces plantes sont des palliatifs aux conditions de vie des populations locales, elles deviennent rapidement accoutumantes. Surtout, les préparations dérivées deviennent encore plus addictives : le crack pour la première, les dérivés de synthèse issus de la cathinone pour la deuxième.

La cocaïne est à l’origine de médicaments anesthésiques locaux, mais elle fait aussi l’objet d’un trafic particulièrement intense.

 

III.- Les hallucinogènes constituent un très vaste ensemble dans lequel on peut distinguer trois types d’action : délirante – dissociative – psychédélique.

III-1.- Les hallucinogènes délirants rassemblent des Solanaceae, dont l’absorption provoque, à partir d’une certaine dose, des phases de délire dues à la présence d’atropine. Ce sont d’une part des plantes européennes avec les fameuses « plantes de sorcières » du Moyen Âge (Mandragore, Jusquiame, …), d’autre part les Brugmansia originaires de la Cordillère des Andes mais que l’on introduit dans nos plates-bandes. L’atropine, aujourd’hui obtenue par synthèse, est très utilisée en thérapeutique. L’usage antiasthmatique du Datura a dû être arrêté en raison des détournements d’usage, par contre on utilise sa molécule active sous forme de patchs contre le mal des transports.

racine mandragore

III-2.- Les hallucinogènes dissociatifs provoquent une sensation de décorporation et de rencontre avec des entités spirituelles. Ces phénomènes peuvent être provoqués par des organismes très divers :

– le champignon Amanite tue-mouches de vaste répartition, sans application thérapeutique ;

– l’Iboga qui est un arbuste d’Afrique équatoriale ; sa législation est très disparate selon les pays, soit « patrimoine national » au Gabon, interdit dans de nombreux pays, faisant l’objet de programmes de recherches médicinales dans d’autres ;

– l’Ayahuasca qui est une liane du bassin de l’Amazone. Les recherches sur d’éventuelles applications thérapeutiques se développent depuis peu.

 

III-3.- Les hallucinogènes psychédéliques permettent de se retrouver comme dans un rêve, un état de transe et de méditation.

– Citons les feuilles d’un arbuste du bassin de l’Amazone, Psychotria viridis, dont l’usage concomitant avec l’Ayahuasca permet de décupler ses effets.- Il y a également les champignons du genre Psilocybe recherchés sur tous les continents. Les recherches sur la psilocybine ont été très difficiles à développer, mais montrent aujourd’hui un grand intérêt notamment en psychiatrie.

– L’ergot du Seigle est un champignon parasite qui a été à l’origine de véritables épidémies autour de l’an Mil, connues sous les appellations de « mal des ardents » ou « feu de Saint-Antoine ». L’étude des molécules à l’origine des effets de gangrène a permis le développement d’une multitude de médicaments destinés à réguler le flux sanguin, mais aussi à l’obtention du LSD dont l’usage médicinal a rapidement été détourné…

– Enfin, il faut mentionner les Cactaceae du Mexique avec le Peyotl ou « plante qui fait les yeux émerveillés »,  proposé en Europe occidentale initialement pour « réguler l’équilibre nerveux » et dont l’usage a permis d’inspirer de nombreux artistes.

ergot sur graminée

IV.- Cas particulier du Cannabis sativa.

Du point de vue Botanique, il n’y a qu’une seule espèce de Chanvre, Cannabis sativa, et ce sont seulement les variations des conditions environnementales qui vont « orienter » son métabolisme vers l’élaboration, soit de fibres textiles, soit de résine potentiellement hallucinogène. L’Histoire est là pour nous le rappeler.

Le Chanvre riche en résine permet un « voyage » dont les péripéties sont bien connues depuis la description qu’en a fait Baudelaire par exemple. On a pu isoler de cette résine plus de 80 molécules. On sait aujourd’hui que c’est le tétrahydro-cannabinol ou THC qui est responsable de ces effets. Il semble que cette molécule pourrait dériver d’une autre molécule, le cannabidiol ou CBD qui est dépourvu d’effets psychotropes. De là à dire que l’usage du CBD relève d’une « médecine douce », voire qu’il est « récréatif » et pourquoi pas « culinaire », sans doute faudrait-il rester prudent…

 

Il convient de distinguer les propriétés thérapeutiques de ces deux molécules :

– le THC présente une action antidouleurs très efficace vis-à-vis des douleurs chroniques, particulièrement celles engendrées par la sclérose en plaques ;

– le CBD est davantage un anti-inflammatoire, un anxiolytique ou un antidépresseur ; mais ce n’est pas en le fumant que l’on obtiendra ces effets !

– l’association des deux molécules présente des effets complémentaires.

Surtout, il faut bien réaliser qu’une plante ne se réduit pas à une seule molécule, et parler de « chanvre-CBD » ne peut correspondre à une réalité : ce chanvre peut très bien contenir aussi des traces de THC, du reste décelables par exemple lors de contrôles routiers !

Toujours est-il que les législations sont ici très disparates d’un pays à l’autre, ce qui naturellement ne peut qu’engendrer des polémiques.

pied de chanvre

V.- Drogues licites.

Thé et Café, Maté, Kava, Kola, Cacao, …, peuvent provoquer une accoutumance, même si l’on parle davantage d’assuétude à ce niveau.

Un mot sur le Tabac, qui a été initialement un médicament, mais dont on connaît les effets néfastes sur la santé…

En conclusion, observons que l’usage des plantes et champignons aux propriétés addictives est universel, et ce depuis les temps les plus reculés. L’étude des effets de ces plantes a permis de mieux comprendre le fonctionnement de notre organisme, avec la découverte dans certaines zones du cerveau de récepteurs spécifiques des molécules responsables, et même que nous produisons nos propres « drogues », avec les endorphines ou l’anandamine.

Communiqué du conférencier

Tous nos chaleureux remerciements à Michel Botineau, pour une présentation d’une très grande maitrise, très appréciée des participants. Une ambiance très sympathique.