Description
Introduction :
La découverte d’un Cétacé échoué sur la côte a toujours suscité, chez ceux qui en sont témoins, un sentiment d’étonnement parfois mêlé, lorsqu’il s’agit d’une espèce de grande taille, à une frayeur admirative pour ces « monstres » qui peuplent les océans. Depuis les premiers documents écrits qui nous ont relatés de tels événements, et jusqu’à nos jours, il est étonnant de constater que les réactions de l’homme devant un cétacé échoué sont restées fondamentalement les mêmes. Mais, en consultant les documents qui nous ont été laissés au cours des siècles, on s’aperçoit également que les textes laissent apparaître l’état d’esprit des différentes époques ou, en d’autres termes, ce que représentaient les cétacés pour les hommes de ce temps.
La plus ancienne observation d’échouage sur les côtes de France date de la période romaine : elle est rapportée par Pline qui s’extasie devant un échouage en masse de 300 animaux, sur les côtes de la province lyonnaise…
Pendant les premiers siècles de notre ère, les documents sont pratiquement inexistants, et il faut attendre le Xe siècle pour que les Cétacés prennent rapidement une grande importance. C’est en effet, le début de la pêche à la baleine au pays des Basques qui ne devaient s’achever qu’au XVIIe siècle. On oublie, bien souvent, que cette période fut celle de la naissance de l’exploitation baleinière qui devait, par la suite, entraîner d’autres pays d’Europe à la poursuite des baleines dans les eaux de l’Atlantique Nord. Sur les côtes françaises de la mère de Biscaye, la présence des Baleines franches (Balaena glacialis) constituait une richesse naturelle de première importance et les documents nous montrent combien cette rude pêche artisanale avait de retentissement dans l’économie et les traditions locales (Thomasi, 1947).
Tandis que les basques recherchaient les baleines du golfe de Gascogne, d’autres populations côtières commençaient à pêcher, au contraire, la plus petite de nos espèces : le Marsouin. Les pêcheries organisées se situaient, essentiellement, sur les côtes de Normandie mais, pendant tout le Moyen Âge, l’exploitation généralisée de cette espèce semble avoir tenu un rôle important. Ce petit Cétacé représentait alors, sans nul doute, celui que l’on trouvait le plus communément dans les eaux littorales. Il était donc comparativement plus aisé à capturer et se trouvait très fréquemment échoué : les comptes des abbayes témoignent de l’importance que représentait cet apport de nourriture. Il faut ajouter que sa dénomination de « poisson à lard » lui permettait d’être consommé pendant la carême, ce qui en augmentait considérablement la valeur marchande.
C’est avec l’époque de la renaissance que l’on voit apparaître les premiers ouvrages traitant de Cétologie. Ces ouvrages de Belon (1551 – 1555) et de Rondelet (1558) laissent encore les Cétacés parmi les Poissons, mais certains dessins de Rondelet montrant un foetus de Dauphin, témoignent de l’acquisition de connaissances sur la biologie de ces animaux. Au siècle suivant, il semble que les progrès dans l’étude de l’anatomie humaine aient incité certains observateurs à s’intéresser à l’anatomie comparée. Nous en avons pour exemple la relation d’un échouage à l’île de Ré, par le médecin rochelais Seignette (1680). Sa description, en latin, est suffisamment détaillée pour permettre l’identification de l’espèce, une baleine des Basques.
L’esprit de curiosité qui caractérisa le XVIIIe siècle et se traduisit par la constitution des « Cabinets d’histoire naturelle », amena les naturalistes à conserver les restes osseux pour leur collection. Le musée océanographique de la Rochelle possède l’une des plus anciennes pièces datées : un crâne de Cachalot provenant d’un échouage en 1784. Mais, à cette époque, certains naturalistes avaient déjà compris l’intérêt que représentait l’étude des Cétacés échoués et déploraient qu’il soient si peu, ou si mal, utilisés. C’est ce qu’écrivait en 1789, l’abbé Bonnaterre dans « l’Avertissement » de sa Cétologie : « De là vient que les erreurs et les inexactitudes qui s’étaient d’abord glissées dans cette partie de l’histoire naturelle, se sont perpétuées jusqu’à nous. La seule manière de les rectifier, ce serait d’examiner avec soin les divers Cétacés qui viennent de temps en temps échouer sur nos côtes ; mais il est rare qu’il y ait sur les lieux des personnes assez instruites pour faire de bonnes observations. La curiosité attire beaucoup de spectateurs, tout le monde s’extasie en voyant ses grands colosses, mais personne n’en observe les caractères et les proportions. Bientôt l’animal tombe en putréfaction avant que les naturalistes en soient instruits ; et les gazettes ne tardent pas à publier qu’un tel jour, sur telle plage, il a échoué à un souffleur ou une Baleine à laquelle on attribue souvent de fausses dimensions. »
Dans le milieu du XVIIIe siècle, la classification s’était enfin éclaircie avec l’apparition du système binominal de Linné, en 1758, les Cétacés allaient être désormais traités comme un ordre distinct. De la fin du XVIIIe au milieu du XIXe, plusieurs ouvrages fondamentaux leur seront, en tout ou en partie, consacrés : Duhamel du Monceau (1777) ; Bonnaterre (1789) ; Lacépède (1804) ; Risso (1826) ; G. Cuvier (1828 ; 1836) ; Lesson (1838).
Mais ces travaux n’apportent que des données très fragmentaires sur la zone des côtes de France et c’est seulement vers la fin du XIXe siècle que des recherches furent entreprises dans ce domaine. Les vingt-cinq dernières années de ce siècle sont particulièrement riches en publication et l’ont peut estimer que cette époque fut probablement la plus brillante de la Cétologie française. Outre le magistral ouvrage de Van Beneden et Gervais sur L’ostéographie des Cétacés vivants et fossiles (1880), on peut considérer L’histoire naturelle des Cétacés des mers d’Europe (Van Beneden, 1889) et Les cétacés du sud-ouest de la France (Fisher, 1881) comme les deux sources fondamentales de documentation sur notre faune.
Il est regrettable que l’intérêt de telles recherches ait été quelque peu oublié pendant la première moitié du XXe siècle. Seuls les échouages spectaculaires de grands Cétacés ont été signalés, et souvent accompagnée de l’édition de cartes postales, tandis que les petits Cétacés n’étaient que rarement mentionnés. On s’aperçoit d’ailleurs que les espèces étaient mal connues, comme en témoignent de nombreuses erreurs de détermination. Les petits Cétacés se trouvaient indistinctement baptisés « Marsouins » et l’opinion publique leur était alors très défavorable : le développement de la pêche, depuis le début de ce siècle, les faisaient considérer comme les ennemis directs des pêcheurs, si bien que leur destruction était légalement encouragée, avec même l’appui de la Marine nationale. Ceci nous apporte, au moins, une notion quantitative sur l’abondance des Delphinidés mais nous manquons de données précises sur la fréquence relative des espèces. Pendant cette première moitié du XXe siècle, les documents sur les échouages sont en effet, proportionnellement moins nombreux qu’à la fin du siècle précédent. Les références bibliographiques se trouvent éparpillées au hasard des revues scientifiques, mais il est à noter que la presque totalité d’entre elles se trouve publiée par les Sociétés scientifiques régionales et nous avons déjà souligné le rôle important qu’elles avaient joué dans l’étude des Mammifères marins des côtes de France (Duguy, 1979).
Ce fut également une initiative provinciale qui se trouve à l’origine d’un programme de recherche coordonné pour l’étude des Mammifères marins des côtes françaises. Le muséum de la Rochelle, orienté de longue date vers la biologie marine, avait commencé, à partir de 1963, à s’intéresser aux échouages ; cette spécialisation amena le directeur du Muséum national en 1971, à charger cet établissement de recueillir les données et le matériel sur la côte atlantique. Il fut alors envisagé, avec l’appui de la ville de la Rochelle, de présenter un projet concernant l’organisation des recherches sur les Mammifères marins, compte tenu de la rareté des travaux entrepris, en France, dans ce domaine. Dans sa séance du 13 janvier 1972, l’Assemblée des professeurs du Muséum national accepta le principe de la création d’un Centre d’études des Mammifères, rattaché à la chaire d’anatomie comparée, et décentralisée à la Rochelle. Par la suite, le développement des recherches amena une extension de cette formation qui devint, en 1982, le Centre national d’études des Mammifères marins, doté de deux départements, l’un pour l’outre-mer, au laboratoire d’anatomie comparée, l’autre pour la France et l’Europe, à la Rochelle. Ce dernier bénéficia matériellement, la même année, de la construction du musée océanographique qui allait lui fournir des locaux parfaitement adaptés à ses travaux.
L’une des premières tâches du Centre avait été de fournir, à tous ceux qui s’intéressaient aux Mammifères marins, un guide permettant, à la fois, de déterminer les espèces et de savoir comment noter les observations (Duguy, Robineau, 1973). Les nombreux correspondants bénévoles reçurent, en outre, des feuilles standard pour les observations d’échouage, ou de Cétacés à la mer, complétées par une brochure à large diffusion pour l’identification à la mer (Duguy, 1980).
Pour terminer nous tenons à exprimer ici notre vive gratitude à tous nos correspondants que nous ne pouvons citer tous, de crainte d’en oublier, pour leur enthousiasme et leur dévouement qui a permis de réaliser notre programme. C’est grâce à leur action que, depuis 1971,un rapport annuel sur les Mammifères marins des côtes de France a pu être régulièrement publié. La documentation ainsi rassemblée a contribué à faire largement progresser nos connaissances sur nos Mammifères marins et permis de mener à bien ce travail sur le statut passé et actuel des Cétacés sur les côtes de France.