Audubon, un destin tout en dessins

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Audubon, un destin tout en dessins

Audubon, un destin tout en dessins

Jean-François Heil, archiviste de la Société des sciences naturelles

C’est sans doute une première : Audubon raconté en bandes dessinées. Saluons le
plaisir de découvrir « Sur les ailes du monde, Audubon » de Fabien Grolleau & Jérémie Royer, paru en 2016 aux éditions Dargaud. Réalisée par un jeune duo, cette belle publication témoigne que notre Jean Jacques et son œuvre peuvent rencontrer un nouveau public.
Au début des années 1960, quelques cases, à ce jour introuvables, ont été
consacrées à J.J. Audubon dans un magazine pour la jeunesse. Depuis : apparemment
rien. Traversant l’univers exotique et mouvant de l’Amérique du début du XIXe siècle, la vie aventureuse d’Audubon, dont il a livré le récit avec talent, entrait pourtant aisément en résonance avec notre imaginaire : forêts infinies, indiens, trappeurs, pionniers, rivières sauvages, fleuves où se côtoient premiers bateaux à vapeur et canoës d’écorce,paysages immenses, faune surabondante, fascinante culture amérindienne renvoyant à nos fantasmes européens d’humanité première fondue dans une nature vierge.
Les dessins de Fabien Grolleau n’exaltent pas ces représentations aujourd’hui
dépréciées. Leur style dépouillé est fait pour centrer l’attention sur la personnalité d’Audubon. Ainsi, faisant l’impasse sur l’enfance nantaise et sur les années d’apprentissage, Fabien Grolleau met en scène d’entrée la passion exclusive d’Audubon adulte pour l’ornithologie et le dessin. Dès lors, nous comprenons la rupture, en 1820, avec sa vie antérieure et nous le suivons, sur le rudimentaire « flat-boat » qui l’embarque pour la Nouvelle Orléans, porté par son projet démesuré : dessiner et publier grandeur nature le portrait de tous les oiseaux nord-américains. Confiée au fil de l’Ohio puis du Mississippi, l’existence d’Audubon se confond avec les dangers naturels, les rencontres improbables et les provendes ornithologiques que le fleuve place sur sa route. Le cours des eaux, le cours du récit s’accordent avec pertinence au cours de la vie tel qu’Audubon lui-même l’a confié à son journal, un jour de fatigue morale, alors que l’esquif parvient au confluent où les eaux claires de l’Ohio disparaissent peu à peu dans les eaux boueuses du Mississippi : « La rencontre des deux cours d’eau m’évoque l’entrée dans la vie adulte d’un jeune homme innocent, lequel se trouve peu à peu confronté à des milliers de difficultés ; il lutte mais, progressivement submergé, il se
perd dans le tourbillon de la vie. »

Une suite d’épisodes, adaptés des récits d’Audubon, se raccrochent comme des
escales au parcours chaotique sur le fleuve, chacun révélant une facette nouvelle du personnage. Riche en découvertes scientifiques et en travaux artistiques, la dévalade initiatique à la merci des courants, des vents, des hauts fonds et des mauvaises rencontres aurait pu s’achever en une impasse fatale à la Nouvelle Orléans. Ce sont d’autres eaux dangereuses, une traversée de l’Atlantique, et une nouvelle séparation douloureuse avec sa famille, qui mènent enfin Audubon au succès.

Les quelques libertés prises par Audubon avec la réalité servent de justification
à Fabien Grolleau pour dessiner « une histoire inventée qui, nous l’espérons, retranscrira davantage une personnalité qu’une vérité historique ». Dans cette veine, le dialogue imaginaire d’Audubon avec le jeune Darwin tient une place particulière. La vérité cependant n’est qu’à un pas : Darwin a très vraisemblablement assisté à une des démonstrations données par Audubon pendant son séjour à Londres.
La dernière partie reste fidèle à la métaphore initiale. Elle évoque la malheureuse
expédition vers les sources du Missouri, autre veine vivifiante du continent, et la fin d’Audubon désormais fixé dans sa propriété de Minnie’s Land, à New York, en bordure de l’Hudson, ultime Achéron.

Pour ceux qui ne connaissaient pas, ou mal, Audubon, cette lecture sera sans
doute une révélation. Pour ceux qui sont des familiers du grand ornithologue et artiste, elle procurera un point de vue nouveau, rêveur et sensible, sur le personnage.