Audubon trahi
Jean-François Heil, archiviste de la Société des sciences naturelles
Les éditions Delachaux et Niestlé ont habitué les amateurs de nature à des publications de qualité. L’ « Histoire de l’Ornithologie » est de celles-là tant pour le fond que pour la forme. Mais, Audubon y est si maltraité que l’on retient ses compliments.
Cela commence très positivement avec une belle reliure à couverture rigide, un
format carré agréable qui permet une manipulation aisée d’un volume fort malgré tout
de 360 pages. On se réjouit en l’ouvrant de découvrir une mise en page soignée et une
excellente qualité d’impression (chinoise) mettant en valeur une abondante illustration.
Malgré cela l’achat est loin d’être ruineux et surprend au contraire par sa relative modicité.
L’auteur a choisi de ne pas borner son récit au cadre national ou en privilégiant
outre mesure celui-ci. Les différents ornithologues et biologistes, les courants de
pensées scientifiques qui ont marqué leur temps reçoivent une place méritée en fonction
de leur importance et non de leur provenance. Le texte remonte ainsi agréablement les
siècles en réservant d’heureuses découvertes, même au lecteur averti. Au fil des pages
apparaissent des figures remarquables et souvent ignorées comme l’ empereur Frédéric
II de Hohenstaufen (1194-1250) dont l’œuvre ornithologique largement en avance sur
son temps fut mise à l’index par le Vatican ; le professeur de philosophie Ulisse
Aldrovandi (1522-1605), qui, comme Audubon, abandonne le commerce pour se consacrer à la science ; le médecin Francisco Hernández (v.1514-1587), première référence et seule référence pendant 250 ans pour la faune du Mexique, pays fermé jusqu’en 1823 ; le prêtre, fils de forgeron, John Ray (1627-1705) et Sir, petit-fils de Duc, Francis Willughby (1635-1672), des amis inséparables qui révolutionnent les méthodes d’étude et fondent l’ornithologie moderne ; le bachelier en théologie Mathurin-Jacques Brisson (1723-1806), originaire de Fontenay-le-Comte, reconverti à l’ornithologie, crée une classification beaucoup plus précise et détaillée que celle de Linné ; l’ apprenti imprimeur de Londres, Thomas Nuttall (1786-1859) qui fait carrière de naturaliste aux États-Unis, gagnant l’estime et l’admiration d’Audubon; le Nuttall Ornithological Club, fondé en 1873 par ses disciples est la première société savante consacrée aux oiseaux aux États-Unis, dont naitra 10 ans plus tard l’American Ornithologists’ Union : etc. On peut toutefois regretter l’absence de quelques noms, notamment celui de Charles Dessalines d’Orbigny et de son incontournable Dictionnaire universel d’histoire naturelle, ou celle de son frère Alcide.
Chaque chapitre est introduit par une double page sans marges reproduisant dans
toutes ses nuances un détail d’une gravure d’Audubon, bel hommage au talent de l’artiste ornithologue. Malheureusement, le tableau se gâte quand l’auteur aborde l’œuvre et la biographie d’Audubon. Les erreurs factuelles sont si nombreuses qu’il faut renoncer à les rectifier ici. Plus grave, le texte colporte sans nuance ni examen critique des jugements à l’emporte-pièce et des ragots forgés à son encontre par certains des rivaux américains d’Audubon. Il est contradictoire de voir qu’ailleurs dans l’ouvrage, l’opinion d’Audubon sert de référence pour qualifier, en bien, des confrères comme Nuttall, Bewick, Charles Bonaparte… Nous ne pouvons que conseiller d’ignorer tout simplement ces pages qui ressemblent au copié-collé d’extraits d’Internet non contrôlés, fait par un collégien sans jugement, et de se reporter aux biographies sérieuses mentionnées ci- dessous ainsi qu’à l’exposition consacrée par le Muséum de La Rochelle aux dessins de jeunesse d’Audubon, de fin décembre 2017 à mars 2018.
En attendant voici deux biographies d’Audubon en français :
Yvon Chatelin, Audubon, peintre, naturaliste, aventurier. France-Empire édit., Paris,
2001.
Henri Gourdin, Jean-Jacques Audubon (1785-1851) biographie. Actes Sud édit., Arles,
2002.