Les phoques veaux-marins et les phoques gris en France : étude des populations, de leur régime alimentaire et de leurs stratégies de chasse
L’animateur se propose de faire découvrir ces deux populations de phoques veaux-marins et gris en France, et présente les recherches menées sur ces espèces.
1997ème séance
Animation : Yann Planque,
Centre d’Études Biologiques de Chizé et Observatoire Pelagis (CNRS – La Rochelle Université)
Présidence : Martine Gachignard – 45 participants
Le phoque veau-marin (Phoca vitulina) et le phoque gris (Halichoerus grypus) sont deux espèces de mammifères marins qui fréquentent toute l’année les côtes de France métropolitaine, de la mer d’Iroise (Bretagne) jusqu’au sud de la mer du Nord (Hauts-de-France). Ces deux espèces de phoques avaient presque disparu de ce secteur au cours du siècle dernier, mais des populations se sont réinstallées en France depuis les années 1990 et les effectifs ont alors fortement crû. Plusieurs centaines d’individus sont maintenant observés sur de nombreux reposoirs de phoques en France (Figure 1 ; données issues de Poncet et al. 2021).
Figure 1 : Photos d’un phoque veau-marin et d’un phoque gris et carte des effectifs maximaux de phoques comptés sur les sites de repos à terre en France métropolitaine en 2020.
Source des données d’effectifs : Poncet et al. (2021). Rapport collectif du Réseau National Phoques.
Figure issue de Planque (2021) [thèse de doctorat].
À La Rochelle Université, au Centre d’Études Biologiques de Chizé et à l’Observatoire Pelagis, nous effectuons des recherches sur ces populations de phoques françaises et cherchons à en savoir plus notamment sur leur abondance, leur régime alimentaire, leurs zones de chasse en mer et leurs stratégies de chasse. L’objectif est alors d’acquérir des connaissances précises pour comprendre leur écologie. Sur le secteur de la Manche Nord-Est française, vers les estuaires picards (baie de Somme, baie d’Authie, baie de Canche) et le Nord de la France (Phare de Walde), les deux espèces se retrouvent en « sympatrie », c’est-à-dire qu’elles occupent le même territoire et pourraient s’alimenter sur de mêmes ressources. Cependant, certaines études ont suggéré qu’il pourrait y avoir une compétition indirecte entre ces deux espèces de phoques lorsqu’elles s’alimentent sur des ressources communes (Bowen et al. 2003). L’une de nos questions est alors de savoir s’il pourrait y avoir une telle compétition alimentaire entre phoques veaux-marins et phoques gris en Manche Nord-Est.
Différents types d’études sont mis en place pour mieux comprendre l’écologie de ces deux espèces de phoques. Leur régime alimentaire est évalué par l’analyse du contenu de fèces de phoques (collectées sur les reposoirs) en pièces dures non digérées (os et otolithes de poissons, becs de céphalopodes, etc.). Le comportement en plongée et les zones de chasse de ces deux espèces sont également étudiés grâce à des suivis télémétriques réalisés sur quelques individus, équipés de balises GPS/GSM.
Les analyses réalisées nous permettent alors de mieux savoir ce que chassent les phoques veaux-marins et gris de la baie de Somme (régime alimentaire, Figure 2-A) et où ils chassent (zones de chasse, Figure 2-B).
Figure 2 : (A) Régime alimentaire des phoques veaux-marins (en vert) et des phoques gris (en bleu) en baie de Somme évalué par l’analyse du contenu de fèces (N = 193 et 77) collectées de 2002 à 2019. (B) Zones de chasse de 9 phoques veaux-marins (en vert) et de 11 phoques gris (en bleu) capturés en baie de Somme en 2008 et 2012 respectivement et équipés de balises GPS/GSM.
Résultats issus de Planque (2021) [thèse de doctorat] et de Planque et al. (2021).
Nous avons pu identifier de fortes similarités entre le régime alimentaire des deux espèces de phoques, avec un fort chevauchement alimentaire sur les poissons plats. Le régime alimentaire des phoques veaux-marins est principalement composé de petits et grands poissons plats benthiques (plies communes Pleuronectes platessa, flets d’Europe Platichthys flesus, soles communes Solea solea, soles poles Pegusa lascaris, etc.) (86% de la biomasse). Celui des phoques gris comprend également une part importante de ces mêmes poissons plats (56% de la biomasse), mais est plus diversifié que celui des phoques veaux-marins, avec la présence complémentaire de poissons démersaux (tacauds Trisopterus spp. etc.), de poissons pélagiques (harengs de l’Atlantique Clupea harengus) et d’encornets pélagiques (Loligo spp.). Enfin, les zones de chasse de phoques veaux-marins sont très côtières, à proximité de la baie de Somme, alors que celles de phoques gris sont plus largement étendues en Manche Est et en mer du Nord. Cependant, il persiste un chevauchement spatial en zone côtière entre les deux espèces.
Ces résultats, complétés par d’autres analyses, nous permettent d’identifier un chevauchement entre phoques veaux-marins et phoques gris sur ce secteur, qui repose sur la consommation de poissons plats en zone côtière. Ils nous apportent ici le contexte informatif d’une potentielle compétition alimentaire indirecte entre ces espèces. Une telle compétition pourrait avoir lieu si les ressources en poissons plats sont en quantité limitée. Cependant, en l’état actuel, l’existence actuelle ou future d’une compétition ne reste qu’une hypothèse possible. Il serait alors nécessaire de poursuivre les suivis pour détecter tout potentiel changement écologique dont l’origine serait trophique/alimentaire.
Le conférencier
Références bibliographiques
Bowen WD, Ellis SL, Iverson SJ, Boness DJ (2003) Maternal and newborn life-history traits during periods of contrasting population trends: implications for explaining the decline of harbour seals (Phoca vitulina), on Sable Island. J Zool 261:155‑163. . https://doi.org/10.1017/S0952836903004047
Planque Y (2021) Écologie trophique de deux espèces sympatriques de phoques en périphérie de leur aire de répartition. Thèse de doctorat. La Rochelle Université (France). 368 PP. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03720984/
Planque Y, Spitz J, Authier M, Guillou G, Vincent C, Caurant F (2021) Trophic niche overlap between sympatric harbour seals (Phoca vitulina) and grey seals (Halichoerus grypus) at the southern limit of their European range (Eastern English Channel). Ecol Evol 11:10004‑10025. . https://doi.org/10.1002/ece3.7739
Poncet S, Sicard M, Le Baron M, Francou M, Hemon A, Frémau M-H, Lecarpentier T, Elder J-F, Gicquel C, Monnet M, Rault R, Karpouzolpoulos J, Lefebvre J, Everard A, Colomb. F, Diard Combot M, Provost P, Deniau A, Urtizberea F, Koelsch D, Letournel B, Vincent C (2021) Monitoring seals in France – 2019: Extended summary of the annual report of the National Seal Network. 12 PP. https://doi.org/10.13140/RG.2.2.25082.82883